Notice de l'oeuvre :
Originaire d’une famille nantaise, Luc-Olivier Merson se rend à Paris et fréquente l’école des Beaux-Arts. Il devient l’élève de Lecoq de Boisbaudran et de Chassevent, l’un des principaux représentants de la peinture académique. Il est également influencé par les théories de son grand-père, le critique d’art Charles-Olivier Merson (1822-1902), grand défenseur de la tradition classique de la peinture religieuse.
Il expose au Salon à partir de 1867 et obtient le Prix de Rome en 1869, avec le Soldat du Marathon. Au cours des deux années passées à la Villa Médicis, il est marqué par Raphaël et les peintures du Quattrocento. Il connait ses premiers succès avec des œuvres mystiques et poétiques aux couleurs fraiches et au dessin précis, telles que Le Loup de Gubbio (Salon de 1878, Musée de Lille), le Repos en Egypte (Salon de 1879, Musée de Nice), et Saint François prêche aux poissons (Salon de 1881, Musée de Nantes).
Luc Olivier Merson est également l’auteur de grandes peintures murales parisiennes, notamment pour le palais de Justice en 1877, le cabinet du recteur de la Sorbonne, le grand escalier de l’Opéra-Comique et enfin, dès 1889, pour l’escalier des fêtes et les coupoles des salons d’arrivée de l’Hôtel de Ville. En 1906, Merson réalise des cartons de tapisserie ayant pour sujet les contes de Perrault. Il illustre des ouvrages de Victor Hugo, Flaubert, Mérimée et Alfred de Musset. Enfin, il dessine des modèles de billets pour la Banque de France.
L’artiste réalise notre tableau en 1890, alors qu’il vient de recevoir la Médaille d’Or à l’Exposition Universelle de 1889. Il connait la consécration quelques années plus tard, lorsqu’il est élu membre de l’Institut en 1892, et professeur à l’école des Beaux-Arts en 1894.
Luc-Olivier Merson représente ici une adoration des bergers transposée dans un paysage hivernal enneigé. Il reprend le thème de la nuit qui lui avait valu le succès de la fuite en Egypte de 1879 (ill. 1). Dans notre panneau, trois bergers, vêtus à la mode médiévale, se recueillent devant une humble chaumière bretonne. L’un est agenouillé, un second joue de la cornemuse tandis qu’un troisième porte un petit agneau. Etrangement, les protagonistes, - la Vierge Marie, saint Joseph et l’enfant Jésus -, ne sont pas visibles. On peut toutefois imaginer une scène de nativité à l’intérieur de ce modeste refuge : en effet, la douce et chaude lumière qui s’échappe de la porte entrouverte suggère une présence divine.
Autour des années 1890, Merson s’éloigne temporairement des paysages italiens pour se tourner vers ceux de la Bretagne. En effet, l’artiste y séjourne plusieurs semaines par an. La maison familiale se situe au Cruaudais, dans le sud de la Loire inférieure. En 1888, il se rend à Cancale, Préfailles et Pornic. En 1891, il passe quelques jours dans le golfe du Morbihan et à Belle-Ile. A partir de 1896, il loue le manoir du Fransic, entre Morlaix et Carantec. Au cours de ces séjours, l’artiste réalise de nombreux croquis et trouve dans la nature son inspiration pour l’élaboration de ses toiles.
A plusieurs reprises, le peintre dispose ses saintes figures dans de petits hameaux bretons. On retrouve la maison de la route de Morlaix (ill. 2) dans une toile représentant Marie et Jésus devant une chaumière bretonne (ill. 5). Ces chaumières servent également d’écrin à Je vous salue Marie (ill. 3), daté de 1885, et à l’Annonciation de 1908 (ill. 6) conservée au musée de Cherbourg. L’abreuvoir de l’Annonciation est identique à celui représenté dans une étude que Merson réalise près du Fransic.
Les chaumières bretonnes ont également du inspirer notre œuvre. La correspondance de l’artiste nous apprend que ce dernier séjourne à Saint Marc-sur-mer, près de Saint Nazaire, à la fin du mois de septembre et au début du mois d’octobre 1890. Certaines études d’après nature sont réalisées à cette occasion. En effet, l’un des dessins de cette série, conservé au musée des Beaux-Arts de Nantes, porte une inscription : « Saint Marc ».
Luc Olivier Merson apprécie la nature bretonne car elle présente la particularité de paraître hors du temps et générique. L’œuvre intitulée Je vous salue, Marie (ill. 3), où un paysan et sa fille saluent humblement la Vierge et l’enfant Jésus dans un village breton, est l’image d’une foi qui puise ses sources dans la religion paisible et familière. Merson dédramatise le sacré et ne garde à l’esprit que sa valeur universelle. Le paysage de la Salutation angélique (ill. 6), contemporaine de notre panneau, n’est pas sans évoquer les étendues marécageuses de la Grande Brière familière à Merson: le peintre rejette ici toute solennité mystique pour s’attacher au naturel de la représentation.
Grâce à son caractère immuable, la Bretagne constitue un décor parfait, à la fois réaliste et idéal. L’humilité des lieux choisis rend ses œuvres accessibles au commun des mortels. Ainsi, en transposant ses scènes dans un cadre contemporain, Luc-Olivier Merson fait prévaloir les sentiments humains sur une chrétienté dominée par le surnaturel.
Ces œuvres de Luc Olivier Merson s’inscrivent dans le renouvellement de la peinture religieuse au XIXème siècle. De nombreux artistes sont également séduits par cet évangélisme familier, largement cultivé dans un XIXème siècle alors marqué par les divisions religieuses et sociales. Merson tire son inspiration dans les textes canoniques, mais son intérêt se porte aussi sur les textes apocryphes et les hagiographies, qui présentent un goût pour le pittoresque et le merveilleux. Il cherche à rendre la parole divine plus humaine, afin d’émouvoir davantage le spectateur. La critique fut sensible à cette simplicité : « Une fois de plus M. Merson montrer sa volonté de ‘rajeunir’ ou simplement de ‘moderniser’ des sujets souvent exploités chez lui, c’est-à- dire de rompre bien définitivement avec la tradition1. »
Amélie du Closel
1 Firmin Javel, L’art français, 31 décembre 1892.
Bibliographie en rapport :
Léon Thévenin, Luc-Olivier Merson, peintre et illustrateur, Paris, 1901.
Exposition de l’œuvre de Luc-Olivier Merson, Paris, Ecole Nationale des Beaux-Arts, mai 1921, catalogue d’exposition, Paris, 1921.
Adolphe Giraldon, Luc-Olivier Merson, une noble vie d’artiste, Paris, 1929.
François Thoraval, Catalogue des peintures de Luc Olivier Merson, mémoire de maîtrise, sous la direction de Bruno Foucart, Paris IV, 1989.
François Thoraval, Catalogue sommaire des dessins de Luc Olivier Merson dans les musées français, mémoire de DEA, Paris IV, 1990.
Anne-Blanche Stévenin, Francis Ribemont, L’étrange Monsieur Merson, Rennes, Musée des Beaux- Arts, 10 décembre 2008- 8 mars 2009, catalogue d’exposition, Lyon, 2008.
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