Julien Duvocelle
(Lille 1873-1961 Corbeil-Essones)

Scène macabre

Signé et daté (en bas à droite) « J. Duvocelle 1902 »,
Huile sur toile, 33 x 40 cm.

Vendu

 

Notice de l'oeuvre :

La carrière de Julien Duvocelle est peu documentée. Il suit les leçons de Pharaon de Winter à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, avant d’entrer dans l’atelier de Léon Bonnat, portraitiste et professeur à l’école des Beaux-Arts de Paris. Entre 1897 et 1927, l’artiste expose presque chaque année au Salon des Artistes Français, principalement des portraits féminins (ill. 1 et 2). Le portrait de la mère de l’artiste, présenté à l’Exposition Universelle de 1900, lui permet d’obtenir une médaille de bronze.
 

En marge de son activité de portraitiste, il se spécialise, au cours des premières années du XXème siècle, dans la représentation de scènes macabres. Notre œuvre se rattache, au même titre que le crâne aux yeux exorbités du musée d’Orsay (ill. 3) à une veine symboliste morbide.
 

 
En 1904, Duvocelle expose à Prague un tableau intitulé la mort nous guette1. Ce titre pourrait correspondre à notre toile, peinte deux ans plus tôt, en 1902. La technique du camaïeu et le puissant clair-obscur accentuent le caractère dramatique de la scène. Un squelette édenté, au rictus prononcé, pose ses longues phalanges sur les épaules d’une jeune femme éplorée. Cette dernière, vêtue d’un costume Renaissance, tient entre ses mains la tête d’un homme barbu, vraisemblablement décapité. Le sujet précis de notre œuvre est difficile à identifier. L’artiste pourrait s’inspirer de l’histoire de Marguerite de Navarre, qui aurait emporté la tête tranchée de son amant adoré, le Seigneur de La Môle, pour la faire enterrer. Cette légende a été reprise par Stendhal dans son roman Le Rouge et le Noir, publié en 1830.

Traditionnellement, les squelettes et crânes humains sont, dans la peinture classique, un moyen de rappeler aux hommes la fragilité de leur existence et la vanité de leur vie terrestre. Duvocelle s’éloigne du genre du memento mori et privilégie une vision plus cynique de la mort, personnifiée, dans ses œuvres, par des crânes ricanant, aux globes oculaires exorbités, qui s’apprêtent à emporter leur victime. Dans notre tableau, plusieurs squelettes se profilent à l’arrière-plan, évoquant le répertoire médiéval des danses macabres, qui connait un regain d’intérêt à la fin du XIXème siècle, plus particulièrement chez les artistes symbolistes. En effet, l’esprit du romantisme noir, qui s’épanouit en France dès 1815 à la suite de la Révolution française, de la Terreur et des guerres napoléoniennes, est réactivé avec la Commune et la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Le thème des danses macabres expérimente les angoisses contemporaines, alors que les métropoles européennes font désormais face aux épidémies de choléra et aux maladies vénériennes qui lient intimement l’amour et la mort.

Dans la Comédie de la Mort (1838), Théophile Gautier propose une réinterprétation de la Divine Comédie de Dante, à travers une jeune morte, figure idéale de la Beauté. L’un des poèmes issu des Fleurs du Mal (1857) de Baudelaire, intitulé « Danse macabre », met en évidence la perversité de la mort, qui se dissimule grâce à l’apparat et se mêle ainsi au monde des vivants. La danse macabre (1874) du compositeur Camille Saint Saëns, avec ses dissonances, ses accords mineurs et ses variations de rythmes, évoque l’ironie railleuse de la mort. Les peintres trouvent également dans ce thème, qui présente un caractère satirique, de quoi satisfaire leur goût pour une esthétique macabre. Les crânes grimaçants de Duvocelle renvoient à certaines œuvres de Goya et d’Ensor (ill. 4 et 5).

 

Le thème de la danse macabre permet à Duvocelle d’illustrer le lien ironique entre l’amour et la mort. Comme Oskar Zwintscher dans Détresse (ill. 6), Julien Duvocelle fait apparaître la Mort, squelette menaçant, comme responsable de la tragédie amoureuse.
 

Lorsqu’elle ne prend pas la forme d’un squelette ricanant, la mort peut se métamorphoser en ombre séductrice : Gauguin par exemple, s’inscrit dans l’esthétique symboliste en privilégiant une atmosphère mystérieuse et troublante (ill. 7 et 8).
 
Amélie du Closel


1
Huile sur toile, localisation actuelle inconnue (cf De l’impressionnisme à l’Art Nouveau, 1996, p. 180).



Bibliographie en rapport :
Claire Barbillon, « Nouvelles acquisitions », La Revue du musée d’Orsay, n°1, septembre 1995, p. 30.
Côme Fabre, Félix Krämer, L’ange du bizzare. Le romantisme noir de Goya et Max Ernst, Francfort sur le Main, Städel museum, 26 septembre 2012 – 20 janvier 2013 ; Paris, musée d’Orsay, 5 mars 2013 – 23 juin 2013, catalogue d’exposition, Paris, 2012, p. 201.
Caroline Mathieu, Akiya Takahashi, Paradis d’artistes au XIXème siècle, Kobé, musée municipal, 29 septembre 2006 – 8 janvier 2007 ; Tokyo, musée métropolitain d’art, 27 janvier – 8 avril 2007, catalogue d’exposition, Tokyo, 2006, p. 163.
De l’impressionnisme à l’Art Nouveau – Acquisitions du musée d’Orsay 1990-1996, Paris, musée d’Orsay, 16 octobre 1996 – 5 janvier 1997, catalogue d’exposition, Paris, 1996, p. 180.

 


Hubert Duchemin
8, rue de Louvois - 75002 - PARIS
Tél: +33 (0)1 42 60 83 01
Email: hubert@hubertduchemin.com
copyright hubert duchemin 2013