Pauline Peugniez
(Amiens 1890 – 1987 Paris)

L’église San Francesco della Vigna à Venise

vers 1934
Huile sur panneau,
27 x 34 cm

Exposition :
Peintures de Pauline Peugniez, Paris, Galerie E. Druet, 4 – 15 février 1935, brochure de l’exposition, n°24 : « Saint-François-des-Vignes ».

Vendu

 

Notice de l'oeuvre :

Bien qu’injustement oubliée, Pauline Peugniez peut être considérée comme une artiste majeure de l’art religieux de l’entre-deux guerres. Dans son enfance, elle est marquée par la Bible d’Amiens de Ruskin préfacée par Proust. Son père, dessinateur et chirurgien, la destine à des études de médecine. Elle s’inscrit finalement aux Beaux-Arts d’Amiens, puis de Paris, et devient l’élève de Ferdinand Humbert et d’Henri Focillon. Elle rencontre Jean Hébert-Stevens, qu’elle épouse en 1915. Le couple, catholique pratiquant, entre aux Ateliers d’art sacré en 1919, tout juste ouvert par Maurice Denis et Georges Desvallières. A côté des peintures de chevalet reflétant le bonheur de la vie familiale et des illustrations pour des œuvres littéraires, elle se consacre également à l’art monumental. Son époux fait l’acquisition d’un atelier de maître-verrier en 1923. Pauline Peugniez élabore des cartons de vitraux d’après Desvallières, Maurice Denis, Rouault, Gromaire et Bazaine. Elle reçoit également plusieurs commandes de tapisseries pour l’Etat.

Pauline Peugniez se rend presque chaque année en Italie. Son journal offre quelques précisions sur deux de ses voyages. En mars 1933, elle se rend à Rome et exécute quelques croquis d’après les Primitifs. L’année suivante, elle effectue un nouveau périple en Italie, et découvre Côme, Milan, Vérone, Venise et Padoue. Ces séjours lui inspirent plusieurs œuvres (ill. 1 à 5).

 

L’artiste représente ici l’église San Francesco della Vigna à Venise (ill. 6). L’édifice se trouve dans le Castello, un quartier calme et épargné par la foule. Un ange serait apparu à saint Marc à cet endroit et lui aurait annoncé : "Pax tibi Marce Evangelista meus, hic requiescet corpus tuum" (Que la paix soit avec toi Marc mon évangéliste, ton corps reposera ici). Le nom « della Vigna » fait référence aux vignes que cultivaient les moines franciscains lorsqu’ils reçurent le domaine en 1253. L’église d’origine fut remplacée au XVIème siècle par celle que l’on peut voir aujourd’hui, chef-d’œuvre de la Renaissance dessinée par Jacopo Sansovino. Cette église en croix latine, à nef unique, est empreinte de sobriété. La construction de la façade principale fut confiée à Andrea Palladio en 1562. Le campanile, semblable à celui de Saint Marc, est l’un des plus élevé de la ville. Un monastère attenant, composé de deux cloîtres, était destiné à abriter les frères mineurs de l’Observance.
On manque de recul pour contempler aisément l’édifice, massif et majestueux, dans son ensemble. Le peintre choisit donc de représenter la façade sud de l’église depuis la colonnade du Campo San Francesco. Ce portique fut construit au XIXème siècle par les frères franciscains afin de relier leur couvent au palais des nonces apostoliques. Le passage est formé d’une vingtaine de colonnes doriques supportant un pont couvert. A partir d’une certaine hauteur, les colonnes de marbre blanc ont été peintes en rose brique (ill. 7).

 
Pauline Peugniez note ses activités et ses impressions dans son agenda. On peut lire, sur la page du 23 août 1934 : « Soir du 23 arrivée à Venise / Le va et vient des gondoles / Cette eau mouvante grandeur / douloureuse émotion, solitude / Promenade ap. diner vaporetto / St Marc scène du châtelet / Vend. Matin 1ère rêverie haut de campanile entrevu / Croquis San Francesco della Vigna / Visite de St Marc / Baignade Lido / Valeur douce et charmante » (ill. 8).
 


 
Pauline Peugniez ramène d’Italie de nombreux croquis numérotés suivant la méthode de Maurice Denis : elle inscrit sur chaque partie des numéros allant de 1 à 10, pour indiquer les valeurs de la plus claire à la plus sombre. Le (ou les) croquis de San Francesco della Vigna, réalisés en août 1934, ont donc dû servir à l’artiste pour l’exécution de notre tableau, vraisemblablement peint en atelier à son retour d’Italie. Le rendu approximatif de certains éléments architecturaux prouve que Pauline Peugniez ne cherche pas à rendre une vision du site conforme à la réalité. L’artiste tente de retranscrire une atmosphère idéale et paisible. Elle privilégie l’unité de l’œuvre et n’hésite pas pour cela à déformer la réalité : « Et tout à coup, ce rythme passe au bout du pinceau, et peu à peu les objets sur la toile et sur nature se déforment dans le sens de ce rythme. Une poésie les baigne. Chaque objet n’est plus qu’une partie d’un grand tout, l’ensemble prend une unité1. »

Les œuvres réalisées au cours des années 30 et ayant pour sujet l’Italie (ill. 1 à 5) trahissent l’intérêt de Pauline Peugniez pour les primitifs italiens. A l’instar des artistes du Quattrocento, sa peinture se pare tout naturellement d’une expression divine, révélée par le raffinement des harmonies colorées. Elle privilégie des volumes simples et des accords de tons éclatants. Les aplats de couleur s’organisent les uns par rapport aux autres pour former une composition parfaitement construite. Notre œuvre s’inscrit dans une série de vues d’Italie exposées à la galerie Druet en février 1935 (ill. 9) : parmi les œuvres vénitiennes, figurent une vue de Saint François des Vignes (n°24) et le jeune homme riche (colonnade de Saint-François-des-Vignes) (n°25). Dans un article de la Revue Septentrionale, le peintre et illustrateur Jacques Acrement remarque, à propos de cet ensemble de toiles : « elles sont bien dans la tradition des Primitifs ces longues piazzetta de Rome, de Venise, d’Orvieto, toutes fleuries de pimpantes couleurs, doucement éclairées de cette fine lumière qu’aima tant Carpaccio. L’ingénuité d’Angelico reparaît en ces religieux qui donnent aux cités toute leur paix monastique2… ».

 

Pauline Peugniez participe ainsi au renouveau de l’art religieux, dans un esprit proche de l’œuvre de Maurice Denis, comme en témoignent ses compositions simplifiées et découpées, d’une naïveté apparente. Artiste très chrétienne, elle privilégie des thèmes intemporels et confère à toutes ses peintures, qu’elles soient religieuses ou profanes, une dimension sacrée. Notre panneau, par sa poésie et son émouvante spiritualité, offre un parfait exemple de l’art raffiné de Pauline Peugniez.
Amélie du Closel
 

1Agenda de Pauline Peugniez, avril 1933, annexe XI, pièce 7, Paris, Archives privées.
2Jacques Acremant, « D’Abel Bertram à Gabriel Venet », La Revue Septentrionale, mars 1935, p. 71-72.




Bibliographie en rapport :
Claude Farjas, Salon d'automne 1990 : art contemporain, la conquéte de l'air et de l'espace, Henry de Waroquier, les peintres ukrainiens, Paris, 1990, p.
« Pauline Peugniez - Hebert-Stevens, Amiens 28 avril 1890 - Paris 1987 », Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1999, 654, 275-285.
Florence Ledoux, Catalogue sommaire de l'œuvre de Pauline Peugniez, mémoire de maîtrise présenté par Florence Ledoux, Université de Paris IV, Paris-Sorbonne, 1995.

Rétrospective du Salon d’Automne de 1990 :
http://www.youtube.com/watch?v=yI28LmeQiYM

 


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